mardi 9 février 2010

Chapitre VIII

Claire avait envie de rire. L’effet combiné des margaritas qu’elle avait avalées, et de sa soeur. Liz était allongée par terre à côté de Claire, sur le tapis, les deux soeurs avaient un verre vide posé sur le ventre. Liz racontait ses derniers exploits pendant que Diane, sa petite amie du moment préparait une nouvelle tournée.
Claire avait envie de rire, et n’en put plus de se retenir. Liz lui donna un coup sur la cuisse.
— Tu n’es pas gentille de te moquer de moi, lui dit-elle avant d’éclater de rire à son tour.
Diane revint avec un pichet de margarita. Claire pensa que ce n’était pas raisonnable, mais sa main était déjà tendue pour que l’on remplisse son verre. Elle tenta de se redresser, et manqua de se fracasser la tête sur le coin du canapé. Nouvelle salve de rires.
— Tu es vraiment faite ce soir, ma chère soeur. Il va être content de te retrouver ton mec.
— On s’en fout de mon mec, on est entre filles, on s’amuse, on profite.

Claire discutait avec sa mère dans la cuisine devant une tasse de café fumant. Dehors il tombait des cordes. Elle se sentait bien dans la chaleur de la maison familiale. Le poulet rôtissait dans le four, la soupe chauffait sur la cuisinière, dans le frigo un fraisier attendait dans la boite du pâtissier. Tout était prêt pour un repas dominical en famille, ne manquait que Liz, toujours en retard, et le père de Claire, parti voir un patient en urgence.
— Putain de temps, fais chier je me suis salopée mes chaussures.
Françoise leva les yeux en entendant la voix de sa fille retentir dans l’entrée.
— Elisabeth, s’il te plaît, tu peux éviter de jurer à longueur de temps. Claire sourit. Il n’y avait plus que sa mère pour appeler sa soeur Elisabeth, même son père n’employait plus que son diminutif.
— Pardon maman, mais c’est vrai, regarde des chaussures presque neuves, trempées.
Derrière Liz, n’osant pas s’avancer, attendait une grande jeune fille, tenant un sac à main devant elle, pendu au bout de ses bras. Claire embrassa sa soeur et lui fit remarquer qu’il y avait une demoiselle dans l’entrée. Liz alla la rejoindre, la prit par la main et la tira derrière elle.
— J’ai invité une amie pour manger, ça gène pas.
L’invitée-surprise s’excusait en silence d’être là, déjà prête à repartir sous les trombes d’eau qui noyaient le paysage. Françoise s’avança vers elle, large sourire, main tendue, l’accueillant comme si c’était une de ses filles.
— Claire attrape une serviette pour... Excusez les manières de ma fille, mais je crains qu’elle n’ait pas pris la peine de vous présenter comme il se doit.
— Elodie, madame.
C’était plus un souffle qu’une phrase articulée. Françoise salua l’amie de sa fille et l’invita à s’installer dans un fauteuil, et à se sécher les cheveux avec la serviette que lui tendit Claire.
Dans la cuisine Liz trempait son doigt dans un pot de miel avant de se le lécher goulûment. Claire la rejoint, laissant sa mère et Elodie discuter dans le salon.
— Tu aurais pu me prévenir.
— Te prévenir de quoi ?
— Que tu allais venir avec ta nana!
— J’ai voulu faire une surprise.
— Et tu vas dire quoi aux parents.
— La vérité.
La porte de l’entrée claqua. Claire et Liz entendirent leur père jeter sa sacoche sur le sol. Elles n’avaient pas besoin de lui poser la question. Il avait perdu son patient. Il entra dans la cuisine, et son visage sombre s’éclaira en découvrant ses deux filles. Il les embrassa sur le front. Et tomba sur une chaise.
— Allez mes anges, faites-moi plaisir, versez-moi un grand verre de lait frais, j’en ai besoin, j’en ai encore un qui a avalé son acte de naissance. Infarctus fulgurant. Aucune chance de s’en sortir le pauvre vieux. Enfin vieux, il avait juste 55 ans. Ses enfants arrivaient pour déjeuner avec lui. Ils n’auront rien à se mettre sous la dent, le rôti a brûlé dans le four.
Il sortit ses chaussures, enleva ses chaussettes mouillées, et commença à retirer ses vêtements humides, quand sa femme entra avec Elodie.
— Enfin, chéri, nous avons une invitée. Tu peux attendre la fin du repas avant de te mettre nu devant elle.
— Excusez-moi, mademoiselle, je ne savais pas que vous étiez là, j'espère que voir un vieil homme pieds nus ne vous choque pas.
Il serra la main d’Elodie, embrassa sa femme, et se retira pour se changer. Il retrouva les quatre femmes dans le salon, autour d’un verre, avant de passer à table. Il vint s’asseoir à côté de Claire, sur l’accoudoir de son fauteuil. Claire proposa de lui laisser la place. Il déclina l’offre, mais accepta le verre de whisky que Françoise lui tendit.
Lors du repas Elodie resta discrète, ne parlant que quand l’un ou l’autre des convives lui posait une question. Françoise faisait passer les plats, son mari servait le vin. Claire parlait avec son père de ses études, des stages, des patients qu’elle voyait. Liz racontait des bêtises, et parlait fort.
— D’où connaissez-vous ma fille, demanda le père de Liz à Elodie ?
Liz prit la main de son amie, et répondit à sa place.
— On s’est rencontré lors d’une soirée chez des amis communs. Elodie est mon amie, ma petite amie. Je suis lesbienne.
Un ange passa, et s’installa confortablement au-dessus de la table. Liz gardait la main d’Elodie dans la sienne, celle-ci baisait les yeux vers son assiette. Françoise regarda son mari. Claire attendait une réaction de ses parents. C’est Liz qui prit la parole en premier.
— Si vous décidez de me mettre à la porte, je pourrais quand même avoir une part de fraisier.
— Attends un peu, je ne sais pas si ton amie a encore envie d’un morceau de poulet, ou quelques haricots verts, dit Françoise.
— Liz est trop gourmande, elle manger trop, je la soupçonne de boire trop aussi, renchéri son mari.
Le repas reprit son cours, tranquille. Le poulet fit une nouvelle fois le tour de la table. Puis vint le temps du fromage, et quand le fraisier arriva sur la table, Liz avait tout dit de sa vie sexuelle à ses parents. De sa première expérience avec un garçon pendant un séjour à la montagne. Expérience décevante dont elle fit une description drolissime. Expérience destinée à se sentir normale. Puis son acceptation de son attirance pour les filles. Ses premières copines, et puis son envie, son besoin de tout dire à ses parents. Ce jour-là, avec Elodie qui partageait sa vie et son lit depuis plusieurs semaines.
Il pleuvait toujours autant quand elles repartirent. Françoise embrassa Liz et Elodie, son mari en fit autant, serrant fort sa fille contre lui, lui murmurant deux mots à l’oreille. Claire embrassa Liz et ses parents. Elle les regarda dire au revoir à leurs filles sous la pluie.
— Il m’a dit qu’il aimait bien Elodie, et qu’il me trouvait magnifique, lui dit-elle le soir au téléphone. J’avais peur, tu ne peux pas t’imaginer à quel point j’ai eu peur.
Claire fut étonnée de l’entendre dire cela. Pour elle Liz était celle qui n’avait peur de rien, qui fonçait, qui se foutait de ce que l’on pouvait penser d’elle, et des conséquences de ses actions.
— Tu n’avais aucune raison d’avoir peur, lui dit-elle, j’étais sûre que ça se passerait bien.
— J’aimerais avoir ta confiance soeurette.

Diane posa le pichet sur la table basse, et s’installa sur le canapé élimé de Liz. Claire avait repris sa place par terre, levant la tête pour boire une gorgée de son cocktail.
— Tu crois que ça lui ferait plaisir à Marc de t’entendre dire que tu te fous de lui.
— Je crois qu’il s’en foutrait. Il est trop gentil pour être en colère.
— Ça a l’air d’être le type parfait. Tu crois que c’est le bon ?
Claire se redressa, prenant appui sur la table basse et le canapé. La tête lui tournait, elle n’avait plus envie de rire, mais plutôt de vomir. Diane ronflait doucement sur le canapé. Liz se releva et voulu lui jette un cousin pour la réveiller. Claire le prit en pleine figure. Liz s’excusa en riant.
Est-ce que Marc était le bon ? La tête dans la cuvette des toilettes de sa soeur, alors que cette dernière attendait derrière elle, Claire pensa à ses parents. Elle les avait toujours connus heureux en couple, jusqu'à ce que la mort les sépare. Son père lui avait toujours paru amoureux de sa mère. Est-ce qu’ils s’étaient demandé s’ils étaient faits l’un pour l’autre, s’ils étaient les bons ? Et Liz, qui enchaînait les copines, dont les relations ne duraient jamais plus d’un an, est-ce qu’elle pensait, cette fois-ci, que Diane était la bonne ?
— Je ne sais pas, dit Claire après un nouveau spasme.
— Tu ne sais pas quoi ?
— Je ne sais pas si Marc est le bon.
— Tu en es encore là.
— Ouais, j’ai de la suite dans les idées moi, ma vieille. Et je ne sais pas si c’est le bon, mais je sais que quand je vais rentrer il va s’occuper de moi, demain il prendra soin de ma gueule de bois, il ne me fera aucun reproche, et rigolera même quand je lui raconterais que j’ai fini la tête dans tes chiottes en parlant de lui.
Liz se mit à genoux derrière sa soeur, posa ses deux mains sur ses épaules et les lui caressa. Elle était jalouse de la relation qu’elle avait avec Marc, leur complicité, leur amour. Elle osa penser amour, parce qu’ils s’aimaient, cela crevait les yeux. Elle n’avait jamais connu ce genre de relation. Des histoires de cul, des bons coups au pieux, des filles sympathiques, mais elle n’avaient jamais été amoureuse comme sa soeur l’était. Elle laissa passer une nouvelle vague de vomi,et serra fort Claire en faisant attention à ce qu’elle ne se rende pas compte qu’elle pleurait.

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