vendredi 26 février 2010

Merci

Les belles histoires ne naissent que sur un bon terreau, et quand elles sont bien arrosées. Ceux qui suivent ont été ce terreau, cet arrosage, qu’ils en soient remerciés
Jed Bartlett et toute son équipe; Martin Winckler; Michael Bluth et toute sa famille; les élèves de Saint Joseph de Tivoli; J.D., Perry Cox et tous les médecins et chirurgiens du Sacred Heart Hospital; Elsa Rebaudières; Starbuck, Apollo, Adama, Baltar,Roslynn, et toute la flotte des survivants des 12 colonies; Ella Fitzgerald; Peter Jackson; Sabine Barrière; Sydney Bristow; Lily Allen; Laurent Brun; Diana Krall; les capitaines Kirk, Picard et Sisko; Olivia Ruiz; Dick Wolf; Denny Crane & Alan Shore; Gilermo Del Toro; Anna Krüger; Ton Fontana; Alain Resnais; Frank Sinatra ; Gene Kelly; Woody Allen; Marc Lalaude; Nani Moretti; Les Gaboriau, père et fils; Jean-Paul Dubois; Isaac Asimov; Dean Martin; Douglas Kennedy; Amaury Dastarac, Jim+Pam; Diana Krall; Cali; Andrew Nicohl; Fred Astaire; Véronique Castaing; Eddy Mitchell; Les Scissor Sister; Mon Voisin Totoro; John Carter, Doug Ross, Carol Hathaway, Peter Benton, et Mark Greene (les vraies urgences ce sont eux); Art Tatum; Michael Chambon; Georges Melies; Rufus Wainwright; Carole Vizcano; Christophe Laussucq; Pierre Carles; John Spencer, Michael Piller et Jerry Orbach; les petits gars de Le Village et de pErDUSA; DLC; Orson Welles; Arnaud J. Fleischman (mon double); Georges Perec; Jamie Cullum; Clothilde Hesme; Vincent Delerm; Carole Gombaud; Bertrand Blier; Jack “put the gun down” Bauer; Jasper Fforde; Patrick Nedelec; La Famille Gilet; Francis Ford Coppola; Paolo Conte; John Chriton & Aeryn Sun; Stan Getz; Grégory House; Denis Podalydes; Jarod (feu mon alter égo); Lucius Vorenus & Titus Pullo; Alexandre Astier; Anna Gavalda; Alexandre Viallate;; Les Poutou-Poutou; Hiro; Michael Connelly; Steven Spielberg; Marie-Do Lahitte; Martin Scorcesse; Julien Clerc; Albert Cohen; Guillermo Del Toro; Will Ferrell; Lawrence Block; Quentin Tarantino; Lorelaï Gilmore; La population de Cicely, Alaska; Bill Evans (I Believe in Spring); Michel Audiard; Madeleine Peyroux; Véronica Mars (she’s smarter than me); Charles M. Schulz; Yann Moix; et tout ceux que j’oublie...

Grosse bise à Mamidou
Gros merci à Thomas, Jean-Paul et Joëlle.
Immense merci à vous...

Bordeaux, février 2008

Chapitre XXV

Monique babillait au-dessus du berceau. Claude s’était appuyé contre la fenêtre. Il avait embrassé Claire en rentrant dans la chambre, s’était penché sur sa petite fille, mais ne l’avait pas touché. Claire lui sourit. Elle pensa à Marc, elle n’avait jamais remarqué à quel point ces deux-là se ressemblaient. Monique prit le bébé dans ses bras et s’assit dans le fauteuil en skaï à côté du lit de Claire. La grand-mère vivait un des plus beaux moments de sa vie, et virait gâteuse. Elle s'imaginait déjà préparant tartes et gâteaux pour sa petite fille. Elle se voyait partir en promenade dans les sous-bois, l’accompagnant au cirque, au Guignol, à la plage. Claude ne disait rien, comme à son habitude en présence de sa femme. Claire regarda ses mains. Elle pensa qu’il avait peut-être peur de prendre ce petit bout dans ces grosses mains de boucher. Ces mains qui avaient tranché, dépecées, détaillées, désossées, portées des quartiers de viandes. Claire voulut lui dire que c’était aussi des mains d’artiste, des mains délicates qui savaient faire naître des saucisses, faire glisser la chair dans les boyaux avec attention, qui savaient créer des chapelets beaux à faire saliver. Elle voulut retrouver tous les mots de Marc pour le rassurer.
Claude regardait sa petite fille dans les bras de sa femme. Il sentit son ventre se nouer. Il déglutit. Sera un peu plus fort le rebord de la fenêtre, ses articulations blanchirent, ses veines gonflèrent. Il croisa le regard de Claire. Elle lui souriait. Il la trouva magnifique.
— Où est Marc, demanda-t-il ?

Marc s’ennuyait lors de cette réunion. Il comptait le nombre de fois que Karine disait “J’veux dire”. Il en était déjà à 47 en moins d’une demi-heure. Sur cette base-là, il paria pour un nouveau record de l’heure. Il ne savait même pas quel était le sujet de la discussion. Il s’en foutait. Il gardait un oeil sur le pendule. A 15 heures, il se lèverait et prendrait congé, quel que soit l’état d'avancement du débat. Il se souleva de sa chaise pour attraper un petit gâteau, ajouta un “J’veux dire” à son décompte. 50. Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il s’excusa pour l’interruption, il regarda l’écran.
— C’est Claire, dit-il surpris par sa découverte.
— Et beh, décroche idiot, dit Lucie.
Marc quitta la pièce et répondit.
— Viens, vite, hurla Claire.
— Quoi ?
— Le bébé, c’est le moment, viens.
Marc raccrocha et resta interdit devant la porte du bureau. Lucie le trouva la main suspendue au dessus de la poignée, figé, statufié.
— Alors, qu’est-ce qui se passe ?
— C’est le bébé.
— Quoi le bébé ?
— Il arrive. Elle veut que je vienne.
Lucie lui donna un coup sur l’épaule avec le revers de la main. Marc n’arriva pas à dire “aïe”. Lucie renouvela l’opération, un peu plus fort pour le faire réagir.
— Qu’est-ce que tu attends, va la rejoindre.
— Tu crois ?
— T’es vraiment un con, elle vient de t’appeler. Bouge ton cul, et va la rejoindre, merde.
— Enfin, c’est clair, j’veux dire, elle veut que tu sois avec elle.
51 pensa Marc. Il partit en courant dans les couloirs, avant de réaliser qu’il avait oublié ses clefs, son manteau, ses papiers, tout. Lucie, Karine et Félix le regardèrent repasser devant eux affolé, fouillant dans son tiroir, faisant tomber un gobelet de café, fort heureusement vide. Ayant toutes ses affaires il repartit, stoppa sur le pas de la porte. Se tourna vers ses collègues, un large sourire aux lèvres.
— Je vais être papa.
— Fous le camp.
— Dépêche-toi.
— J’veux dire c’est pas le moment de faire l’idiot.
— 52.
Claire était déjà au bas de son immeuble quand Marc arriva en trombe, se garant en double file, se foutant des coups de klaxon. Il embarqua la valise dans le coffre, ouvrit la portière à Claire, l’aida à s’asseoir, et reprit le volant.
Il pesta dans les bouchons. La pluie paralysait toujours la ville. Il vivait au milieu de gens incapables de conduire sous la pluie. Il s’énerva, tapa sur le volant. Claire lui passa la main sur la joue.
— Ce n’est pas la peine de s’énerver, tout va bien se passer. J’aime bien votre barbe.
Marc se tourna vers Claire. Il se rendit compte qu’il ne lui avait pas parlé depuis des mois, qu’il ne lui avait rien dit en la récupérant chez elle. Il l’avait chargé et était parti sur les chapeaux de roues sans lui dire ne serait ce que bonjour. Elle venait de le toucher, de lui parler, de lui redire vous.
— Après un deuil, chez les juifs, les hommes ne se rasent pas pendant un mois.
— Vous avez eu un deuil. Qui est mort ? Pas quelqu’un de votre famille ? Vous ne l’auriez dit.
— Calmez vous personne n’est mort. A part nous, notre histoire. Ne faites pas cette tête, je sais que c’est cucul. En réalité à force de camper à droite et à gauche, j’ai développé ce côté un peu rustique.
Ils avançaient dans les rues engorgées. Entre deux contractions ils se parlaient comme avant. Comme si rien ne s’était passé, comme si depuis quatre mois ils n’étaient pas redevenus deux étrangers. Ils ne se parlèrent pas de ce qu’ils avaient fait pendant ce laps de temps. S’il devait y avoir un plus tard, ils le gardaient pour ce moment là.
Claire appela Liz et tomba une nouvelle fois sur son répondeur.
— Liz, je suis en route pour la clinique. Je suis avec Marc. Comme tu dois t’en douter, j’ai essayé de t’appeler plusieurs fois. Tu as intérêt à avoir une bonne excuse pour ne pas répondre. J’espère que tu n’es pas juste en train de t’envoyer en l’air avec Zoé.
Marc manqua de percuter la voiture de devant.
— Liz et Zoé ?
— Oui.
— Je m’en doutais.
— Roulez c’est vert.
Ils arrivèrent à la clinique sans avoir d’accident. Ce qui était un exploit au vue des circonstances. Marc confia Claire à une infirmière et alla se garer. Il courut sous la pluie, et arriva dégoulinant dans le hall d’entrée. Il s’enquit de la mère de son futur bébé. Il se perdit deux fois dans les couloirs avant de la retrouver. Une sage-femme lui demanda s’il voulait assister à la naissance, ne comprenant pas la question il répondit oui. Il fut pris en charge par la sage femme qui l’équipa de pied et cap, le transformant en bonhomme bleu portant choucroute.
Claire était en salle d’accouchement quand il la retrouva. Tout allait trop vite pour qu’il puisse bien comprendre ce qui lui arrivait. Il entendit des cris, des ordres, une machine qui faisait bip. Il pensa aux Monty Python, et éclata de rire. Claire se vengea de son hilarité en accentuant la pression déjà forte qu’elle exerçait sur sa main. Un rire dérailla dans la gorge de Marc. Il venait de perdre l’usage de sa main gauche. Pour un gaucher c’était handicapant. Il n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son nouveau statut d’éclopé, la sage-femme lui présentait sa fille, et une paire de ciseaux pour qu’il coupe le cordon ombilical. Il dut décider si le faisait avec sa main droite qui avait peu de pratique, ou avec sa main gauche dont tous les os étaient broyés. Il surmonta sa douleur et donna le coup de ciseau le plus émouvant de sa vie.
Pendant que Claire était conduite à sa chambre, il appela tout le répertoire de son téléphone portable. Monique pleura, Stéphane le félicita, Eric le chambra, Lucie rigola, Liz hurla de joie, Françoise resta sans voix, Pepette l'engueula parce qu’il venait de le réveiller. Il eut un pincement au coeur quand il entendit “Le numéro n’est plus attribué” et se rend compte qu’il venait d’appeler sa grand-mère dont il n'avait pas encore trouvé le courage d’effacer le numéro.
Claire somnolait dans sa chambre. Marc tira les rideaux pour qu’il fasse plus sombre et qu’elle se repose. Une infirmière amena leur fille dans un petit lit transparent. Il s’accouda au-dessus d’elle et resta ainsi jusqu’à ce que Claire se réveille.
— Comment va-t-on appeler ce petit bout femme ? Surtout, ne me dites pas Buffy, Kira ou même Lorelai.
— Qu’est ce que vous pensez de Sarah, comme ma grand-mère.
— J’aime.
Marc s’allongea sur lit à côté de Claire, posant Sarah entre eux.

Marc chercha la clef de l’appartement dans le sac de Claire. Il eut envie de le renverser sur le sol pour y voir plus clair dans ce fatras. Il finit par la trouver et poussa la porte pour laisser passer Claire et Sarah. Il prit la valise qu’il avait posée sur le palier et les suivis. Claire présenta sa chambre à Sarah. Marc découvrit lui aussi les transformations qu’avait subies le bureau. Les livres avaient disparu, la pièce était claire, chaleureuse, accueillante. Un lit d’enfant était posé contre le mur, juste au dessus Claire avait accroché le portrait de son père, pour que le grand-père veille sur le sommeil de sa petite-fille.
Marc posa la valise dans la chambre. Son livre était toujours sur la table de nuit. Il avait de la compagnie, la bibliothèque avait migré dans cette pièce. Liz avait abattu un drôle de travail pensa-t-il, en se massant le deltoïde. Lors de sa visite à la clinique elle avait passé son temps à lui donner des coups de poing dans l’épaule, à la fois pour le punir d’avoir fait du mal à sa soeur, et pour le féliciter de lui avoir fait une si belle petite fille.
Claire présenta Sarah à Woodstock. Le chat regarda le petit être en penchant la tête sur le côté, et miaula en voyant Marc. Il fila vers la cuisine dans l’espoir d’obtenir un morceau de thon.
Marc s’avança vers les deux femmes de sa vie, embrassa Sarah sur le front et passa sa main dans le dos de Claire. Il retrouvait avec plaisir son parfum, la douceur de sa peau, le son de sa voix. Il chassa le souvenir de leur brouille, le nom de Julie, ses fantasmes de lycéen. Il était loin de cette époque là. Il était papa.
Claire lui confia Sarah. Il s’assit sur le canapé, sa fille au creux des bras.
— Il faut lui apprendre dès à présent le goût des belles choses, dit-elle ne se dirigeant vers la chaîne. Marc se demanda si elle allait mettre Bill Evans, Chet Baker, Elle Fitzgerald ou Billie Holiday. C’est Joe Dassin qui gagna la partie. Marc n’aurait pas misé un euro sur lui, et pourtant ne fut pas surpris de l’entendre. Claire avait un sens de l’humour particulier.
Claire se mit à genoux derrière le canapé et se pencha au-dessus de Marc. Elle lui demanda s’il appréciait la musique. Il ne prit pas la peine de lui répondre. Son large sourire n’appelait pas de commentaire. Elle était contente d’elle, de sa blague, de retrouver Marc, de le voir avec Sarah. Elle eut envie d’un verre de vin. Depuis le temps que Liz l'empêchait de faire ce qu’elle voulait, maintenant qu’elle n’était plus là, elle voulait se faire plaisir. Elle en proposa un à Marc. Il l’embrassa en signe d’accord. En s’éloignant vers la cuisine Claire lui fit un bref résumé des quelques semaines de cohabitation avec Liz. La voix de Claire ne fut plus qu’un murmure indistinct quand elle entra dans la cuisine.
Marc se pencha sur Sarah, elle le regardait les yeux grands ouverts. Les yeux de sa mère.
— Tu vas rentrer dans une drôle de famille. Ta grand-mère Monique va te gaver de pâtisserie, et t’apprendre des 50 façons de faire reluire un parquet. Ton grand-père Claude ne te dira pas grand-chose, mais chaque mot sera lourd de sens, il t’apprendra peut-être à découper un boeuf entier, et plus certainement des gros mots et des chansons paillardes. Ton oncle Stéphane pourra t’initier à presque tous les sports connus. Je n’ose pas imaginer ce que tu pourras faire avec ta tante Liz, du moment qu’elle ne t’enseigne pas l’art du strip-tease, j’approuverais. Peut-être que j’arriverais à convaincre ta grand-mère Françoise à reprendre ses crayons pour faire ton portrait, et t’enseigner son art. Ta mère qui ta déjà donné ses yeux magnifiques et sa beauté, t’enseigneras la générosité, et tout ce que son père lui a transmis et qui fait d’elle une femme honnête dans le plus beau sens du terme. Quant à ton pauvre père, ce rigolo qui continue d’aller chaque matin à l’école à plus de trente ans, il fera de son mieux. Il pourra te donner le goût des bonnes choses, peut-être te transmettra-t-il son quelques-unes de ses passions. Peut-être que non.
Claire s’avança, un verre à la main, s’assit à côté de Marc, plongeât son regard dans le sien.
— Et il t’apprendra à raconter de belles histoires, dit-elle avant de l’embrasser.

jeudi 25 février 2010

Chapitre XXIV

Claire tourna la tête vers le réveil. 2h34. Elle n'arrivait pas trouver le sommeil. Dans la pénombre de la chambre, elle fixait le plafond, se tournait et se retournait dans le lit, allant d’un bord à l’autre maintenant qu’elle était de nouveau seule pour l’occuper. Seule avec son gros ventre. Elle se leva. Dans la cuisine, elle se fit couler un verre d’eau, elle le but d’un trait.
La pluie tombait, frappait contre les fenêtres, brouillait la vue sur la rue. Claire s’approcha pour voir si quelques inconscients traînaient à cette heure. Pas âme qui vive. Le front conte la vitre froide,devant les guirlandes de Noël éteintes pendues dans la rue, elle fut prise d’une envie de pleurer. Elle passa la main sur son ventre. Elle attendit un éventuel coup de pied de sa fille. Rien ne vint, elle devait dormir. Tant mieux pour elle.
Woodstock passa entre ses jambes, se frotta à ses chevilles, et fila vers le bureau. Elle le suivit. Il n’était pas déboussolé par les travaux, les cartons de livres, les étagères de la bibliothèque démontée posées contre le mur, les pots de peinture. Il se fit une place dans un coin, là où était il y a peu le bureau. Elle n’avait pas encore décroché le portrait de son père. Elle s’avança vers lui, le pris, le contempla. Que penserait-il de tout cela ? Que penserait-il de devenir grand-père ? Claire s’assit sur le fauteuil fatigué. Dans un carton, elle remarqua une liasse de feuilles. Elle la reconnut. Elle se penche pour l’attraper. Elle les dépliât et se met à lire, une nouvelle fois ce qu’elles contenaient.
Je devrais commencer par vos pieds. Vos pieds nus. Je devrais commencer par cette vision. Je devrais commencer par eux, salis, écorchés par les graviers, parce que ce sont eux qui vous ont conduit à moi. Je ne commencerais pas par eux.
Vous êtes juste un petit peu moins grande que moi. Juste quelques centimètres qui vous obligent à lever les talons pour m’embrasser. Juste quelques centimètres qui me font baisser le regard pour me plonger dans vos yeux.
Vos yeux verts qui se parent d’un rien de gris. Petites taches qui donnent à votre regard un peu plus de caractère. Des îlots dans une mer d’émeraude. Une mer où il fait bon se plonger pour aller chercher un peu de chaleur, votre chaleur communicative, votre générosité que vous dispensez tout autour de vous.
En descendant on trouve un nez fin, aquilin dit-on, à faire pâlir de jalousie Nicole Kidman. Des pommettes saillantes justes ce qu’il faut pour que je puisse m’y accrocher quand je tombe de vos yeux. Vos yeux, en ai-je parlé ? Quand je n’arrive pas à me raccrocher, je tombe sur vos lèvres. Deux lèvres qui quand elles s’étirent pour un sourire lumineux qui soulève vos pommettes, allume vos yeux et efface la fossette qui met un point final à votre visage, là juste ou bout de votre menton. Ce sourire est votre cadeau.
Autour de votre subtil portrait, l’encadrant, une crinière. D’un magnifique blond vénitien. Ondulant en douceur, des vagues sur une mer calme. Ils tombent si bas qu’ils donnent le vertige quand on les regarde s’évanouir juste là où le poète, encore lui, disait que le dos ressemble à la lune.
Vous ne pouvez jamais être complètement nue avec de tels cheveux. Je vais trop loin en vous imaginant déjà, alors que nous nous connaissons à peine, dans votre plus simple appareil. Je le reconnais. Je m’en excuse. Me permettez-vous seulement de parler de vos seins ? Je devrais tant ils sont discrets. Petites choses, petits fruits de printemps, petite pêche, peau de pêche qui doit être si douce sous les doigts.
Je m’emballe. Je mériterais que vous me gifliez. Je ne prends pas grand risque en vous proposant cela. Vos mains ne pourraient pas faire grand mal. Elles sont si délicates. Dix doigts, j’ai bien compté, longs, fins, à faire du piano, à laisser glisser sur une joue, pas pour frapper, pas pour griffer, pas pour gifler, juste pour caresser.
Vous ne me giflerez donc pas si je poursuis. Si je laisse votre poitrine à l’abri, et descends doucement, lentement, vers vos jambes.
Truffaut aimait les jambes des femmes. C’était disait-il des compas qui donnent aux mondes son équilibre. Qu’aurait-il dit des vôtres ? Il aurait cessé de regarder les autres. Il en aurait fait un film. 1 h 30 sur elles, 1 h 30 en gros plan, 1 h 30 sur grand écran pour sublimer ce qui est déjà sublime. Comme votre chevelure elles n’en finissent pas, elles conduisent jusqu'au bout de vous. Élancés elles vous lanceront sur n’importe quel chemin que vous jugerez bon quand vous en aurez assez du cinéma que je vous fais subir. Ne partez pas tout de suite j’ai presque fini.
Je finirais donc par vos pieds, mais je n’en dirais rien de plus, sinon qu’ils sont en parfaite harmonie avec le reste de votre anatomie. Je me recule. Je cherche à avoir une vision d’ensemble. Je veux assembler toutes les pièces. Chacun des détails prend sa place dans le tableau. Chaque détail prend toute sa valeur au milieu des autres. Vous êtes belle.
J’aurais dû commencer par cela. J’aurais gagné du temps.
Emportée par la fatigue, elle sombra dans le sommeil. Les feuilles lui glissèrent des mains avant qu’elle n’ait lu les dernières phrases.

Marc sonna. Claire vint lui ouvrir, elle laissa la porte ouverte derrière elle et retourna au salon sans répondre au bonjour de Marc. Il entra. Il était déjà étranger dans cet appartement. Ses livres étaient dans des cartons alignés dans le couloir de l’entrée.
Marc avait attendu quelques jours après le mariage de son frère pour appeler Claire.
— Tu peux venir chercher tes affaires quand tu veux, lui avait-elle dit quand il lui avait demandé ce qu’elle voulait qu’il fasse.
Le “tu” l’avait atteint en plein coeur, en plein ventre, le laissant KO debout, le téléphone à la main dans le salon de ses parents. Depuis qu’ils se connaissaient, c’était la première fois qu’elle tutoyait. Il en aurait pleuré si sa mère n’était pas là à le dévisager. Il ne voulut pas lui parler et retourna dans sa chambre. N’en sortant que pour le dîner.
Claire lisait assise sur le canapé. Elle s’absorbait dans son livre, et évitait de regarder Marc. Il entra dans la chambre, ouvrit les placards, les tiroirs et récupéra ses chemises, tee-shirt, pantalons chaussettes, caleçons, qu’il jetait dans un grand sac de toile, sans prendre le soin de les ranger, qu’importe s’ils étaient froissés, en boule, il voulait en finir avec cette corvée. Il voulait partir, vite avant de tomber en larmes devant Claire, de se traîner à genoux pour implorer son pardon. En jetant un dernier coup d’oeil sur la chambre, il remarqua que le livre qu’il lisait était toujours sur la table de nuit. Il ne le prit pas.
Dans le salon Claire n’avait pas bougé. Il lui dit qu’il reviendrait chercher les cartons un autre jour. Elle lui demanda de faire vite, qu’ils la gênaient. Il lui promit de faire au plus vite. Woodstock le suivit jusqu'à la porte. Marc ne s’autorisa pas à le caresser. Il tira la porte derrière lui en laissant sa clef sur le guéridon de l’entrée.
Claire reposa son livre. Elle n’avait pas lu un seul mot. Dans la chambre elle fit le tour des tiroirs vides, de la place retrouvée dans les placards. Elle vit la clef sur le guéridon et donna un coup de pied rageur dans un des cartons de l’entrée.

Liz la secoua et la tira du sommeil. Woodstock quitta ses genoux. Ils s’étaient endormis dans l’ancien bureau, sur le fauteuil en cuir fatigué. Liz engueula sa soeur. Elle n’était pas raisonnable de passer la nuit dans un fauteuil, dans son état. Sa place était dans un lit.
Depuis la rupture Liz prenait soin de sa soeur. Elle l’avait recueilli quand elle était arrivée en larme du mariage de Stéphane. Elle avait passé la nuit a la consoler, la prenant dans es bras, lui disant des choses gentilles, lui mentant en lui disant qu’elle ne la dérangeait pas alors que son amie du moment attendait dans la chambre. Claire s’était endormie vers 4 heures, sur le canapé. Elle ne vit pas l’amante de sa soeur s’éclipser sur la pointe des pieds au petit matin.
Liz avait pris les choses en main pour que Claire ne s’enfonce pas. Elle l’avait entraîné dans des soirées, des concerts, des dîners tant que son état le lui permettait. Elle avait commencé les travaux dans le bureau, démontant la bibliothèque rangeant les livres, transportant, déplaçant, suant, s’épuisant, jurant.
Liz venait chaque matin, apportant croissant et pain frais. Elle restait avec sa soeur pour le petit déjeuner pour être sûre qu’elle voyait au moins une personne dans la journée depuis qu’elle n’allait plus au cabinet. A chaque fois elle trouvait Claire déjà debout. Elle mentait en disant qu’elle allait bien, qu’elle dormait bien. Elle plaquait un sourire de circonstance pour éviter les questions, les reproches, les gros yeux de Liz. Les mêmes gros yeux qu’elle évitait le soir venu, quand sa soeur repassait pour vérifier qu’elle avait dîné, qu’elle se reposait, qu’elle prenait soin d’elle.
Elle ne pu pas éviter la colère de sa soeur ce matin. Elle n'écouta pas tout ce qu’elle lui dit. A son ton elle savait que ce n’était pas des louanges. Claire s’en contre fichait. Elle avait l’habitude depuis plusieurs semaines d’entendre sa soeur jouer à la maman avec elle. Elle faisait le dos rond, disait oui à tout, et attendait de se retrouver seule pour ne rien faire de ce qu’elle avait promis.
— Puisque c’est comme ça, je m’installe chez toi.
Claire se figeat. Elle ne s’attendait pas à cette réaction de sa soeur. Elle voulut la dissuader, lui disant qu’elle s’en sortait très bien seule, qu’elle n’avait pas la place, que Liz avait sa vie à vivre, son boulot, ses problèmes. Rien n’y fit. Le soir Liz débarquait avec ses valises.
— C’est ça ou je demande à maman de venir te chercher et de te ramener à la maison, dit-elle en préparant le dîner.
Claire capitula de bonne grâce. Mieux valait accueillir Liz qu’aller chez sa mère. Elles trouvèrent leur équilibre à tâtons. Liz dormit les premières nuits sur le canapé, avant que Claire arrive à la convaincre de partager son lit. Liz préparait les repas, Claire se chargeait d’un peu de ménage, et lisait assise sur le canapé en attendant le retour de sa soeur, s’aventurant parfois dans la rue, jusqu’à la boulangerie, à la presse, dans le square où, emmitouflée dans un grand manteau elle regardait les gens passer, les bras chargés de cadeau pour Noël.
Petit à petit Claire reprit le dessus, elle ne pleurait plus en écoutant Paolo Conte l’après-midi. Elle mettait n'importe quel disque et pensait à Marc. Elle se demandait si lui aussi écoutait le chanteur italien. Il lui avait dit un jour, que quand il n’avait pas le moral il se laisser bercer par les chansons qui parlaient de la nostalgie d’une époque que l’on à pas connu, la nostalgie des smokings blancs dans les soirées au casino, le goût des cocktails multicolores et des dames en robes longues. Il avait ajouté qu’en fait il ne comprenait pas les paroles, mais qu’il imaginait que la voix rocailleuse du napolitain chantait ce genre d’histoire. Paolo ne la faisait plus pleurer, elle passait des nuits complètes dans son lit, mangeait avec appétit, elle se remit à rire aux blagues de sa soeur.
Le soir de Noël, le dernier que Claire passerait sans enfant, Liz prépara un dîner spécial. Claire aurait voulu rester seule avec sa soeur, mais Liz demanda à inviter une amie, son amie. Claire ne voulut pas dire non. À contrecœur elle partagerait Liz. Quand on sonna Claire alla ouvrir, Liz, habillé en mère Noël sexy, robe rouge à bretelle et bordure de fausse fourrure blanche lui arrivant bien au-dessus du genou et décolleté lui mettant en valeur sa poitrine finissait de préparer le repas. Zoé lui tendit une bouteille de champagne entourée de bolduc. Claire aurait pu jouer la surprise, mais elle se doutait depuis un moment qu’il y avait quelque chose entre Liz et Zoé. Elle embrassa sa secrétaire et belle soeur du moment, en se demandant si dans quelques mois, quand Liz la laisserait tomber, les rapports professionnels qu’elle entretenait avec elle en pâtiraient. Elle chassa cette idée. Ce soir c’était fête.
Le dîner simple, mais bon fut avalé dans une ambiance détendue, joyeuse, émaillée de rires. Claire s’autorisa, avec l’accord de Liz, un verre de vin. Elle le savoura en le faisant durer le plus longtemps possible. Minuit sonna au clocher voisin. Claire et Liz s’échangèrent des cadeaux. Liz fut émue en découvrant l’un carnet à dessin de sa mère, celui qui portait son nom. Elle le feuilleta en montrant à Zoé les portraits d’elle enfant, commentant le talent de sa mère. Claire avait aussi fait encadrer un portrait de leur père. Elle avait piqué l’idée à Marc. Elle trouvait normal que sa soeur ait aussi chez elle un dessin de son père. Elle avait choisi une aquarelle le montrant assis à son bureau, remplissant une ordonnance ou complétant un dossier.
Liz demanda la permission de découcher et s’en alla avec Zoé à son bras, gardant sa tenue provocante pour descendre dans la rue. Claire les regarda partir par la fenêtre, elle leur adressa un geste de la main.
Avant de se coucher, elle eut envie de téléphoner à Marc. Elle se retint à cause de l’heure, et parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle aurait pu lui dire.
Woodstock sauta sur le lit, tirant Claire du sommeil. En consultant le réveil, elle se rendit compte qu’il était déjà 11 heures. Elle se leva dans l’appartement vide. Sa soeur lui manquait. Marc aussi.

mercredi 24 février 2010

Chapitre XXIII

Stéphane, une coupe de champagne dans chaque main, rejoignit son frère sur la terrasse. Il avait défait sa cravate qui pendait par la poche de son pantalon. Marc fumait un cigare en regardant le ciel étoilé.
— Tu t’y connais pour mettre l’ambiance dans les mariages, dit Stéphane en s’asseyant à côté de Marc.
— Excuse-moi, je...
— T’en fais pas, c’était rien à côté de ce que tu as fait la dernière fois. Tu sais que la vieille tante est morte. Je ne vais pas dire que c’est de ta faute, mais pour beaucoup tu as aidé. Cette fois-ci tu es reste dans le discret. Pas de discours enflammé, pas un mot plus haut que l’autre, dans le feutré, merci de l’attention. J’aurais juste aimé que tu attendes un peu, que l’on se souvienne de mon mariage pour mon mariage, pas pour le jour où Claire t’a plaqué.

Claire se regardait de profil dans le miroir de la salle de bain. Elle surveillait l'arrondissement de son ventre. Il était hors de question de rentrer dans les robes de sa penderie. Au cinquième mois, son ventre l’obligeait à faire les boutiques pour s’habiller pour le mariage de Stéphane. Elle ne pouvait pas dire que cela la dérangeait, elle s’inquiétait juste de savoir si ce qu’elle allait acheter aujourd’hui serrait encore à sa taille dans 15 jours, tant elle avait l'impression de prendre du ventre chaque jour.
Marc la surprit en train de se contempler et de passer la main sur son ventre rond.
— J’ai le droit de toucher aussi.
Claire sursauta et éclata de rire en découvrant Marc dans l’embrasure de la porte.
— C’est sûr, vous n’aurez pas de problème pour vous habiller, vous aller sortir votre costume noir, pratique il fait mariages, enterrement, communion, bar-mitzva. Multi tache. Vous pourriez faire un petit effort pour le mariage de votre frère.
— Qu’est-ce que vous voulez, j’ai la classe dans ce costume, tout le monde le réclame.
Claire enfila son chemisier, embrassa Marc, et sortit de la salle de bain. Il la regarda prendre son sac et quitter l’appartement, lui donnant une tape sur les fesses au passage.
Depuis leur retour de vacances, depuis qu’ils avaient annoncé aux parents la grossesse de Claire, Marc se sentait détendu. Le fait qu’il ai mis les choses aux clairs avec Julie l’aidait aussi à se sentir mieux. Ils s’étaient vus juste après la rentrée. Julie avait explosé de joie quand il l’avait appelée. De tous l’été il n’avait pas pris un seul coup de fil, pas répondu à un seul de ses SMS. Elle était arrivée rayonnante à leur rendez-vous. Marc en eut le coeur brisé par anticipation. Il allait lui dire qu’il ne voulait plus la voir, qu’il ne voulait plus qu’elle l’appelle.
Julie pleura, juste un peu, quelques larmes tombant du coin de ses yeux. Marc n’osa pas la regarder à ce moment-là. Il était lâche quand il s’agissait des larmes des femmes. Elle comprenait lui dit-elle. Elle savait que c’était de vivre avec un homme infidèle. Au moins Marc était-il assez courageux pour reconnaître ses erreurs, et mettre fin à cette histoire. Elle lui demanda s’ils pouvaient espérer être amis. Marc fit non de la tête. Pas dans l’immédiat ajouta-t-il. Ils se quittèrent en échangeant une poignée de main. Marc regarda Julie remonter la rue. Ses cheveux en queue de cheval dégageaient sa nuque. Marc tourna les talons. Il l’avait trop vue, il la connaissait par coeur.
Il ne dit rien de sa nuit avec Julie à Claire. Julie l’avait trouvé courageux, assez pour rompre avec elle, pas assez pour être sincère avec Claire. Pour autant il ne ressentait plus la culpabilité qui l’avait poussé à la fuir pendant l’été. Chaque soir il s’endormait la main sur son ventre, espérant un mouvement du bébé.
Devant la télé, ils cherchaient des prénoms. Marc était fort pour les féminins, puissant dans ses héroïnes préférées: Lorelaï, Véronica, Maggie, Emma, Cinnamon. Claire souriait quand il défendait ses choix en citant les exploits de ces personnages féminins au caractère bien trempé. Souvent en manque d’argument il lui disait qu’il aurait pu proposer Buffy, Aeryn ou Tara.
Ils décidèrent de transformer le bureau en chambre d’enfant. Claire dit que c’était un retour à sa première fonction, la pièce ayant été sa chambre. Ils avaient du travail, il fallait déplacer tous les livres, les bibliothèques, refaire la peinture, changer la moquette. Marc s’affolait devant la tache en apparence insurmontable. Il commença par faire des cartons de livres, mais le travail n’avançait pas, il ne pouvait s'empêcher d’ouvrir tous les livres pour en lire quelques pages, voire plus quand il était séduit par ce qu’il lisait. Claire l'engueulait. Marc lui répondait que ce serait sans doute mieux de laisser tous les livres et de laisser leur enfant grandir entouré par toute cette culture ces auteurs merveilleux.
Monique prenait régulièrement des nouvelles de Claire, l’appelant aussi bien à l'appartement qu’a son cabinet. Leur rapport était passé de la distance courtoise à la limite du harcèlement. Claire dut demander à Zoé de filtrer les appels de sa presque belle-mère. Cette dernière se rabattait alors sur son fils, qui n’avait pas le courage de l’envoyer promener, même quand elle le dérangeait en plein boulot. Heureusement, l’approche du mariage de Stéphane occupa son attention avant qu’ils ne doivent porter plainte.
Claire sortit de la chambre dans sa nouvelle petite robe noire. Elle tourna sur elle-même devant Marc. Il la trouva parfaite. Son petit ventre juste mis en valeur comme il fallait. Comme prévu il avait mis son costume noir, avec une chemise blanche, et Claire l'obligeât à passer une cravate. Il ne put lui dire non, ni même faire mine de résister. Ils retrouvèrent Stéphane chez les parents de Marc. Monique agitée comme jamais, Claude stoïque, égal a lui même au milieu de la tornade que provoquait sa femme. Stéphane était nerveux. Il n’arrivait pas à tenir en place. Une semaine plus tôt, lors de son enterrement de vie de garçon, après avoir bu plus qu’il n’aurait du, il avait pleuré sur l’épaule de son frère, partageant avec lui, entre deux sanglots, ses angoisses, sa trouille de faire une énorme connerie. Marc l’avait rassuré du mieux qu’il avait pu. Il s'aperçut que Stéphane s’était endormi. Il n’avait pas entendu la moindre phrase de Marc. Dans le salon de la maison familiale, en le regardant allez et venir comme un animal en cage, il le prit par l’épaule, l'accompagna jusqu’à sa chambre et lui répéta les mots qu’il n’avait pas entendus la semaine précédente. Stéphane s’assit sur son lit, et écouta. Il se calma. Une fois fait, Marc lui demanda s’il pouvait le dispenser d’église. Stéphane éclata de rire, lui dit qu’il était d’accord, mais que jamais leur mère ne le laisserait attendre dehors. Ils retournèrent dans le salon après s'être pris dans les bras l’un de l’autre.
Monique regardait sa montre toutes les deux minutes. Marc prit Claire sur ses genoux et caressa son ventre, lui déposant de temps en temps un baiser dans le cou. Ils attendaient tous l’arrivée du témoin de Stéphane. Sylvain, le fils de Pepette. Un grand dadais de deux mètres, qui n’avait jamais pu être à l’heure de sa vie. N’y tenant plus Monique donna l’ordre de lever le camp et d’aller jusqu’à la mairie. Sylvain les y rejoindrait, et en désespoir de cause Marc serait le témoin de son frère. Sylvain arriva, essoufflé, décoiffé, la cravate de travers, mais juste à l’heure.
Marc fut obligé de rentrer dans l’église. Il réussit à s'éclipser après cinq minutes sans trop se faire remarquer. Il défit sa cravate, la glissa dans la poche de sa veste pour s’en faire une pochette. Il vit quelques nuages gris s'amonceler dans le ciel. Mariage pluvieux, mariage heureux pensa-t-il. La pluie ne tomba pas. Les mariées sortirent sous le riz, passant sous une allée de planches de surf et de ballons de foot, mais sans la moindre goutte de pluie.
Durant le repas, Marc tenta de se montrer ouvert et écouta Fabien le frère de la mariée lui parler de la seule chose qui l’intéressait, le foot. Marc hochait la tête, souriait, essayait de participer alors qu’il avait une sainte horreur du sport en général et du football en particulier. Il fut à deux doigts de craquer quand Fabien lui demanda quel était son champion préféré, et que sans attendre sa réponse, fit un dithyrambe sur Zidane. Marc  attendit qu’il finisse, et  cita Antoine Blondin: “ Le champion , élément fabuleux dans le paysage moderne, est un héros qui ne parvient pas à devenir un personnage.” Fabien resta sans voix. Marc supposa que son cerveau tentait de mettre de l’ordre dans les mots qu’il venait d'entendre et d’en saisir le sens. Il but une gorgée de vin et se tourna vers Claire.
Sylvain, en digne fils de son père, fit un discours hilarant, cherchant des notes dans ses poches, en sortant une multitude de papiers froissés, bafouillant, s'embrouillant et se révélant au final très émouvant quand il évoqua son amitié avec Stéphane. Peut-être impressionné par cette prestation, personne d’autre n’osa prendre la parole. Une raison supplémentaire pour que Marc se sente bien. Assez pour qu’il ne résiste pas longtemps à Claire quand elle voulut l’attirer sur la piste de danse. Le petit ventre rond de Claire contre le sien, sa tête sur son épaule ils tournèrent au milieu des autres couples dans un semblant de danse.
Stéphane et Audrey passaient de table en table, s’asseyant un moment pour discuter avec chacun. Marc laissa courir son regard sur la salle. Claire prit sa main.
— Vous cherchez une vieille tante ? Je ne crois pas l’avoir vue. Et quand bien même serait-elle là, je ne pense pas qu’elle oserait venir vous voir. Si ça se trouve, elle a eu une attaque en vous apercevant sur le parvis de la mairie. Si elle, ou une de ses complices venait nous voir, laissez-moi lui répondre. Je lui dirais que nous ne pensons pas nous marier, mais que nous n’en avons pas besoin pour nous aimer. Je lui citerais peut-être le vieux Georges. Je serais gentille, lui parlerais doucement pour lui décrire notre histoire, notre couple, notre relation qui n’est pas basée sur un contrat de mariage, mais sur plus que cela, bien plus. Sur la confiance, la compréhension, l’écoute.
Marc posa ses yeux sur la nuque d’une jeune fille à quelques tables de lui. Une amie de la mariée ? Une cousine ? Qu’importe, ce n’était pas la question. Les mots de Claire rebondissaient dans son cerveau, alors que cette nuque, ces épaules nues, ces cheveux remontés en chignon faisaient naître l’image de Julie. Claire parlait de confiance et il revivait son étreinte, ses étreintes, cette nuit avec Julie. Il se tourna vers Claire, et lui dit tout. Cette nuit, les SMS, la culpabilité, le vélo, la rupture, tout en désordre, en rafale, en bloc.
Pour la première fois, il eut pu croire qu’il se trouvait dans un film. Claire lui jeta son verre d’eau au visage et le gifla avant de partir. Elle traversa la salle de réception sans se retourner. Quelques personnes la regardèrent arpenter la pièce d’un pas sûr, décidé. Il n’y avait pas eu d'esclandre, pas de cris, la musique continuait de jouer, les couples dansaient, seuls quelques témoins pourraient décrire l’incident. Dont Stéphane. Marc s’essuya le visage, et sortit sur la terrasse.

Marc ne toucha pas la coupe que lui avait tendue son frère. Il laissa son cigare s’éteindre. Il gardait les yeux braqués sur les étoiles. Il avait un peu froid. Stéphane buvait son champagne sans rien dire. Audrey vint le chercher. Marc lui dit qu’elle était belle dans sa robe blanche. Elle le remercia, prit Stéphane par la main et ils repartirent faire la fête, danser, rire, s’embrasser devant tout ces gens venus pour célébrer leur bonheur.
Marc attrapa son téléphone. Il fut tenté d’appeler Claire. Il ne savait pas quoi lui dire. Il lui avait déjà tout balancé. Que pouvait-il ajouter ? N’avait-il pas décidé, après cette nuit, d’accepter la réaction de Claire ? Voilà, elle était partie. Il devait la laisser partir, la laisser seule.
Marc récupéra son manteau. Les clefs de la voiture étaient encore dans l’une des poches. Claire avait dû prendre un taxi. Est-ce qu’elle était dans leur lit à cette heure-ci ? Dans leur appartement ? Où pouvait-il aller ? Où allait-il dormir ? Il roula dans la nuit noire. La pluie attendue arriva. Il se gara devant la maison de ses parents et se mit à pleurer.

mardi 23 février 2010

Chapitre XXII

Marc prit Claire par la taille, posant ses mains sur son ventre qui allait petit à petit  s’arrondir. Ils regardaient leurs familles autour de la table du salon. Les parents de Marc et la mère de Claire pour la première fois tous réunis. Dans un instant, en même temps que Marc servirait le premier verre de vin pour accompagner le foie gras, elle allait leur dire qu’il y avait un convive supplémentaire à table.
Marc l’embrassa, attrapa la bouteille de Sauternes, lui prit la main, et un large sourire aux lèvres, ils allèrent rejoindre les futurs grands parents.

Quand ils arrivèrent, Marc eut du mal à trouver une place pour se garer. Il n’avait jamais vu autant de voitures devant la maison de ses parents. Il y en avait même une qui lui bloquait le passage pour rentrer se garer dans le jardin. Il dut aller jusqu’au bout de la rue, habituellement déserte, pour se poser. Il ouvrit le coffre, attrapa les bouteilles de champagne, en confia une à Claire, en glissa une autre sous son bras et sortit le cadeau pour son père. Le chien vint leur faire une fête timide, son grand âge l'empêchait de se montrer démonstratif, et sa cécité lui fit poursuivre ses pathétiques acrobaties alors qu’ils étaient déjà rentrés dans la maison.
Ils trouvèrent Monique en cuisine, comme à son habitude. La table, l'îlot central, toutes les surfaces disponibles étaient couverts de plateaux de toast, petits fours, salades, verrines, et autres mets qui composeraient le buffet qui avait lieu dans le jardin. Marc déposa un baiser sur la joue de sa mère, qui ne savait où donner de la tête et tournait en rond un peu comme avait fait le chien quand ils avaient franchi le portail.
Marc chercha une place dans le frigo pour y déposer les bouteilles de champagne, mais celui-ci était bourré jusqu’à la gueule, au point qu’il se demanda s’il arriverait à refermer la porte. Monique lui indiqua une grande bassine remplie de glace dans le cellier où il pourrait laisser rafraîchir les bouteilles. Claire voulut aider Monique, elle fut poliment, mais fermement éconduite. Leur place n’était pas en cuisine, mais dans le jardin, là où avait lieu la fête pour les 60 ans de Claude.
Il devait y avoir une trentaine de personnes dans le jardin. Marc n’avait jamais vu autant de monde dans cette maison. Tous là pour son père. Tous amis de son père. Il le repéra assis sous le pin parasol, ce pin parasol que Marc avait lui-même planté. Il avait raconté cette histoire à Claire la première fois qu’ils étaient venus. Il était allé toucher l’écorce de ce qui était “son” arbre, et avait dit à Claire que c’est dans ce bois que l’on taillerait les planches de son cercueil. Claire l’avait traité d’abruti, et s’était serrée contre lui en lui disant qu’elle espérait voir l’arbre encore longtemps debout.
Claude fit signe à son fils de le rejoindre. Il discutait avec le capitaine de l’équipe de foot dans laquelle il jouait encore une fois par semaine. Marc qui n’aimait pas le foot était allé le voir un jour avec Claire. Pour être honnête, si Claire n’avait pas insisté il n’aurait jamais vu son père pousser le ballon, concentrer sur le jeu, le visage fermé comme à son habitude, mais qui lors du premier but de son équipe explosa d’une joie toute enfantine, et alla congratuler le buteur, un homme aussi vieux que lui, qui se livrait à des danses grotesques sur la pelouse, relevant son maillot pour dévoiler son ventre bedonnant.
Marc salua le capitaine, qui lui laissa sa chaise. Marc embrassa son père, lui souhaita un bon anniversaire, lui dit qu’il avait laissé son cadeau dans son bureau. Cet échange tout en retenue pouvait passer pour eux pour une effusion impudique. Il s’assit dans la chaise de jardin laissée par le footeux sexagénaire. Claire embrassa Claude avec moins de retenue que Marc, passant ses bras autour de la vedette de la fête, et le gardant de longues secondes coincées dans cette étreinte, avant de tirer une autre chaise de s’y asseoir. Le couple encadrait Claude. Ils restèrent à discuter de tout et de rien, du temps qui passe, et du temps qu’il fait. Une âme charitable que Marc ne reconnut pas vint leur apporter une coupe de champagne et quelques toasts à grignoter. Puis ils laissèrent Claude avec d’autres de ses amis.
Monique ne sortait de sa cuisine que pour déposer de nouvelles victuailles sur la longue table dressée au milieu du jardin, pour faire griller quelques brochettes de magret ou de saumon sur la plancha, pour ramasser les bouteilles vides, et demander à Claude si tout allait bien. Ce dernier passait de groupe en groupe, riait beaucoup, chantait un chant basque, buvait une coupe. Autant dire que tout allait bien.
Stéphane arriva plus tard au bras de sa future femme, ils rejoignirent Marc et Claire. Audrey était fatiguée et s’effondra sur la première chaise qui tomba à sa portée. Stéphane expliqua qu’elle n’avait pas dormi de la nuit, victime d’une gastro. Ils avaient quand même tenu à venir. Ce n’était pas tous les jours que papa avait 60 ans. Stéphane laissa sa fiancée derrière lui et alla embrasser son père, avec encore moins d'effusion que Marc. Ils partirent vite, Audrey ayant vite quitté sa chaise pour se pencher au-dessus de la cuvette des toilettes.
En fin d’après-midi, l’assistance se fit plus clairsemée, il y avait désormais assez de chaises pour que tout le monde puisse se poser autour de la table, longue planche de bois posée sur tréteaux. Seule Monique continuait à s’agiter. Les anecdotes sur l’homme du jour commencèrent à sortir. Marc les connaissait toutes. Ils les avaient entendues maintes fois lors de repas de famille, ou entre amis, plus ou moins arrosé. Il ne résistait pourtant pas au plaisir de les écouter de nouveau, surtout quand c’était son parrain qui les narrait. Pepette, son parrain était tout le contraire de son père, un homme exubérant, énorme, toujours prêt à faire la fête, à boire un coup, à dire une connerie, à passer une nuit blanche avec des amis, ou des inconnus. Claude et lui se connaissaient depuis toujours. Ils étaient plus que des amis. Pepette était le frère que Claude n’avait jamais eu. Pepette aurait fait n’importe quoi pour Claude. Et quand ils étaient jeunes, ils avaient fait n’importe quoi, voler des poules en rentrant d’un match de foot à l’extérieur, poules qui restaient dans la voiture de Pepette des jours entiers, avant d’être rendue à leur propriétaire légitime quelques jours plus tard. Ils avaient réussi un soir de soulerie à faire monter un mouton en haut du château d’eau, démonter la voiture du maire dans le garage des parents de Pepette, et déposer les pièces sur le parvis de la mairie. Pepette racontait toutes ces histoires avec un sourire aux lèvres, et un réel talent pour les rendre encore plus savoureuses. Tout le monde riait, y compris Monique qui avait fini par venir s’asseoir avec le reste des invités.
La journée filait, les dernières lueurs du jour disparaissaient au loin, une fraîcheur de soirée de printemps tombait sur les épaules des convives qui se dirigeaient tout doucement vers la sortie. Pepette prit Claire dans ses bras et fit tourner le petit bout de femme en la serrant sur son gros ventre. Il donna une grande tape dans le dos de Marc, manquant de peu de la faire tomber à terre, il partit en faisant ronfler le moteur de son vieux 4x4, et en donnant de grands coups de klaxon.
Claude, Monique, Claire et Marc se retrouvaient seuls après le passage de la fête. Marc dit qu’il était temps de partir. Claude le prit par l’épaule, geste qu’il ne se permettait que quand il avait un certain degré d’alcool dans le sang.
— Attendez, je n’ai pas encore ouvert votre cadeau.
Ils rentrèrent tous dans la maison. Dans le bureau de Claude, ils le regardèrent découvrir le cadeau de son fils. Un beau livre sur la corrida. Claude remercia Marc et Claire. Monique retourna vite dans sa cuisine. Ils l'entendirent pester sur tout le travail qu’il lui restait à accomplir avant que sa maison retrouve son ordre et sa propreté. Ils sourirent. Claire ne voulait pas se montrer impolie, mais fit remarquer qu’il se faisait tard, qu’ils avaient de la route. Ils allèrent saluer Monique penchée au-dessus de l’évier, les mains pleines de mousse elle les embrassa, et leur dit au revoir.
Claude dit au revoir à Claire, la remercia encore une fois. Avant que Marc ne remonte en voiture, son père le prit un peu à part. Marc fut surpris de ce geste. Il craignait qu’il ne lui annonce une mauvaise nouvelle.
— Tu sais mon grand, ça m’a fait plaisir que tu viennes. Je sais que tu n’aimes pas plus que moi les grands rassemblements sociaux, ne dit pas le contraire. Tu n’es pas mon fils pour rien. Mais ce n’est pas ça que je voulais te dire. Je sais que ta mère vous a bassiné avec ça ton frère et toi, mais tu sais je suis comme elle , j’aimerais beaucoup voir un petit fils courir dans ce jardin. Je dis ça parce que j’ai un peu trop bu. Mais c’est vrai. Ton frère va se marier, tu formes un très beau couple avec Claire. Tu sais je l’aime beaucoup Claire. Plus que Audrey. Surtout, ne le dis pas à ton frère. Je crois que j’ai vraiment trop bu. Quoi qu’il en soit, j’aimerais autant pour moi que pour toi que tu aies de beaux enfants.
Claude serra Marc dans ses bras. Ce dernier, étonné par l’attitude de son père, ne sut que faire, il passa sa main dans le dos du tout jeune sexagénaire. Leur étreinte ne dura qu’une seconde, mais elle marque Marc. Il fut hébété tout le reste du voyage.

Marc se versa un verre de Sauternes après avoir servi ses invités. Il s’assit à côté de Claire. Ils avaient répété cette scène ensemble. Une bonne dizaine de fois. Marc avait insisté pour le faire. Claire avait souri devant la nervosité de son compagnon. Elle l’avait trouvé touchant. Emouvante cette timidité qui resurgissait régulièrement, surtout quand il était question de ses parents.
Monique l’air de rien inspectait la propreté des verres et des couverts. Claude coûtait le vin, et complimenta Marc pour son choix. Françoise avait déjà commencé à déguster son foie. Claire se tourna vers Marc. Il était tétanisé, son couteau suspendu au-dessus de son assiette. Elle posa sa main sur son avant-bras, il lâcha son couvert qui en tombant dans l’assiette attira tous les regards sur lui. Claire le couva du regard, un regard empli d’affection et d’amour. Elle n'eut pas le temps d’articuler une seule syllabe du speech qu’ils avaient répété.
— Vous allez être grands parents, hurla presque Marc avant de devenir pivoine.
Tout d’un coup, après qu’un ange fit un petit tour au dessus de la table, deux petits battements d’ailes et puis s’en va, bref passage juste pour la forme, la qualité du vin, la propreté des couverts, la saveur du foie n’avaient plus la moindre importance, seule comptait le ventre à peine arrondi de Claire, et le petit être humain qui grandissait en son sein. Monique lançait des “Mon fils, mon fils” digne de Marthe Villalonga dans les films d’Yves Robert, Françoise écrasait une larme du coin de sa serviette, Claude tout en retenue, tout à son habitude se contenta de poser main sur l’épaule de la future mère de son petit enfant et de lancer un regard à son fils. Un regard à peine voilé par les larmes qui y montaient, mais qu’il épongerait avant qu’elles ne coulent, un regard d'où débordait la fierté, l’amour, et toutes ces choses qu’il ne pouvait pas dire. Marc n’avait pas besoin de les entendre, ce simple échange lui avait suffi.
Ils parlèrent prénoms, aménagement de la chambre du futur bébé, allaitement et layettes. Les deux bientôt grand-mères échangeaient des anecdotes sur leurs grossesses, et riaient de bon coeur en s’échangeant les histoires de leurs enfants. Les plats passèrent et furent avalés sans qu’aucun des convives ne s’en rende compte, et ne prête attention au travail qu’avait fourni Marc pour les préparer. Françoise demanda à Claire où elle avait rangé ses anciens carnets de dessins, elle voulait montrer les portraits qu’elle avait réalisés de ses filles. Claire accompagna sa mère dans son bureau à la recherche de ses oeuvres, elle la vit pleurer devant le portrait de son mari que Marc avait fait encadré. Claire la serra dans ses bras, et lui dit qu’à elle aussi il manquai. Françoise lui caressa les cheveux, et lui dit qu’aujourd’hui n’était une journée pour verser des larmes, et que son père serait fier d’elle. Elles revinrent un large sourire accroché aux lèvres pour cacher qu’elles avaient pleuré dans les bras l’une de l’autre un instant avant.
En partant, Monique serra Claire dans ses bras, se montrant pour la première fois affectueuse avec la compagne de son fils. C’était avant tout parce qu’elle allait être la mère de son premier petit enfant. Claire ne s’en offusqua pas, et accepta cette marque d’affection. Claude, comme à son habitude lui murmura quelques mots à l’oreille qui la firent rire, mais dont elle refusa d’en dévoiler la teneur. Françoise serra fort Claire et Marc ensemble. Toute la troupe des papy et mamy descendit les escaliers en partageant encore des considérations sur la façon d’élever les enfants. Marc et Claire les regardèrent s’en aller sur la pas de la porte. Marc tenait Claire par la taille, elle posait sa tête sur son épaule.
— Ça s’est bien passé, dit-il.
— Le plus dur reste à venir, lui répondit-elle.

lundi 22 février 2010

Chapitre XXI

Claire fut tirée de sa sieste par le téléphone. Elle courut à l’intérieur pour décrocher, et se dit qu’elle aurait mieux fait de rester à dormir quand elle entendit la mère de Marc au bout du fil.
— Bonjour Claire, est-ce que je pourrais parler à Marc, j’ai essayé sur son portable, mais il doit être éteints, je n’arrive à avoir que la messagerie ?
— C’est normal, il coupe toujours son téléphone quand il va faire du vélo.
— Du vélo ? Mais depuis quand Marc fait-il du vélo ?

Ils arrivèrent en fin d’après-midi à la ferme. Claire s’étira en sortant de la voiture. Marc alla ouvrir le coffre pour attraper les valises. En s’approchant de la maison, ils entendirent de la musique percer à travers les murs. En entrant ils tombèrent nez à nez avec Liz qui se déchaînait sur One Way or Another de Blondie qui sortait à plein volume de la chaîne. Elle sautait dans tous les sens en petite culotte et tee-shirt, s'agitant plus que dansant sur la table basse du salon. Quand la musique cessa, elle releva la tête et vit les deux visiteurs amusés qui attendaient sur le pas de la porte.
— On merde ma soeur et son mec, dit-elle en tentant de tirer son tee-shirt pour paraître moins nue, tentative vouée à l’échec puisqu’en temps normal ledit tee-shirt ne couvrait pas son nombril.
Une tête émergea du canapé, une cigarette au coin des lèvres.
— Claire, Marc, c’est Sabrina, une amie. Merde Sabrina, enfile quelque chose, tu vas pas rester nibards à l’air devant ma frangine.
La tête replongea vers le tee-shirt qui traînait sur le sol, et s’habilla avant d’aller saluer les nouveaux venus. Sabrina portait la même tenue que Liz, pas grand-chose donc. Un tee-shirt qui peinait à contenir sa poitrine, et ne couvrait rien de son ventre, ainsi qu'une culotte du même rose que celle de Liz. Marc et Claire étaient tout heureux d’avoir mis Liz un peu mal à l’aise par leur interruption dans ce qui devait être une parade nuptiale complexe. C’était une sorte de revanche envers celle qui ne semblait ne s’offusquer de rien, n’être dérangée par rien, prendre tout à la légère.
Liz reprit vite le dessus et évacua sa gène, et embrassa goulûment Sabrina quand celle-ci vint prendre congé, et lui assena une petite tape sur les fesses qui lui tira un gloussement.
— Je ne vous attendais pas aussi tôt, dit Liz en embrasant Marc et Claire, une fois Sabrina partie.
— C’est bête, en effet, on serait arrivé dix minutes plus tard, je suis certain que le spectacle aurait été plus chaud, dit Marc en réprimant un rire.
— Je t’ai toujours dit que c’était un pervers, dit Liz en se tournant vers Claire et avant de tirer la langue à Marc.
Liz les aida à descendre les valises et à les installer dans leur chambre. Claire se retint de faire le moindre commentaire en jetant un oeil sur le désordre environnant. Sa soeur était de toute façon incapable de ranger et lui en faire le reproche ne changerait rien.
— Ça fait longtemps que tu connais cette fille, lui demanda-t-elle en rangeant les vêtements dans l’armoire ?
— Je l’ai rencontrée au village, au bal du 14 juillet. Elle est sympa. C’est pas sérieux entre nous, mais c’est un bon coup.
— S’il te plaît Liz, pas de commentaire, pas de détail.
Liz s’affala en travers du lit en éclatant de rire. Elle était heureuse de voir sa soeur, et encore plus de savoir qu’elle allait être tatie dans quelques mois. Marc passa la tête par la fenêtre et dit qu’il allait faire un tour au village. Claire lui demanda pourquoi, mais il était déjà parti. Il revint une heure plus tard avec un VTT flambant neuf.
— Qu’est-ce que c’est que ce vélo, demanda Claire ?
— J’ai décidé de faire un peu d'exercice pendant les vacances, répondit Marc en poussant sa bicyclette vers la grange.
Claire se tourna vers sa soeur qui était tout aussi surprise qu’elle pas la révélation que venait de leur faire Marc. Lui qui était réfractaire à toute forme de sport, et dont la seule performance physique était de faire une heure de marche par jour, pour se rendre et rentrer du boulot. Cet allergique au sport venait de leur dire qu’il allait faire de l’exercice. Et il avait acheté un vélo pour confirmer ses propos.
— Ce doit être la perspective de la paternité qui lui fait perdre les pédales, dit Claire sans vouloir faire de jeu de mots, mais qui fit tout de même rire Liz.
— Je crois que le spectacle de ton mec en plein effort doit être un spectacle réjouissant, tout autant que de me voir me déhancher en petite culotte.
Ce n’était pas la future paternité qui avait poussé Marc à s’acheter un vélo, ni l’envie d’entretenir son corps. Il avait peur de passer du temps avec Claire, qu’elle voit dans es yeux la culpabilité qui le tenaillait depuis qu’il avait couché avec Julie. Faire du vélo lui permettrait de s'éclipser une ou deux heures par jour.
Le lendemain, peu après le déjeuner, il enfourcha sa monture, et sous le regard moqueur des deux soeurs il partit sur les routes pour une ballade. Marc sentit bientôt ses muscles se venger des années d’inactivité qui leur avait imposé. Ses ridicules heures de marches n’étaient pas suffisantes pour qu’ils se détendent, se renforcent et puissent alors qu’il avalait les premiers kilomètres de son excursion faire avancer son VTT sans qu’il ne grimace de douleur. Il rentra après deux heures et une vingtaine de kilomètres. En descendant du vélo, il marchait difficilement, il avait mal aux cuisses, aux fesses, aux épaules. Il dégoulinait de sueur. Claire et Liz, allongée sur des transats, le regardèrent passer misérable. Elles eurent la gentillesse de ne pas rire devant lui. Il les entendit pouffer une fois qu’il fut rentré dans la maison;
Il resta longtemps sous le jet de la douche. L’eau fraîche arrivait à faire disparaître sa transpiration, mais les douleurs musculaires restaient présentes. En d’autres temps, il aurait pris la décision de tout arrêter, le ranger le VTT dans la grange et de ne plus y toucher. Aujourd’hui, il se dit que cette douleur, cette souffrance étaient bienvenues, il avait besoin de souffrir, de se mettre lui même, de son plein gré à la torture. Il avait trompé la femme qu’il aimait, la femme qui portait son enfant. Il pouvait supporter quelques douleurs musculaires.
Il reprit la route le lendemain. Le soleil tombait sur ses épaules comme du plomb. Le plomb dont semblaient faites ses jambes. La nuit n’avait pas fait disparaître la fatigue. Elle l’avait saisie au premier virage en sortant de la ferme. Il n’avait pas voulu faire demi-tour, moins par crainte des moqueries de Claire et Liz, que parce qu’il savait que c’était une bonne chose. Plus il souffrait, moins il se sentait coupable. Après une heure il se sentit incapable d’avancer plus. Il s’effondra sur le côté de la route, dans un fossé sec. Il fit couler le reste de sa bouteille d’eau sur son visage. Il n’avait pas parcouru dix kilomètres. Huit petits kilomètres pénibles, interminables, et qu’il lui faudrait faire en sens inverse pour rentrer. Il entendit quelques voitures passer. Il perdit conscience, s’enfonça dans un sommeil léger, dont il sortit en entendant une camionnette klaxonner en le dépassant. Il releva la tête, s’en voulut d’avoir gâché son eau, attrapa son vélo et remonta en selle. Les huit kilomètres qu’il fit pour rentrer à la ferme furent les plus longs, les plus douloureux qu’il n’eut jamais à parcourir. Sa gorge était sèche, ses jambes était à chaque coup de pédale prêtent à abandonner la partie. Il rêvait d’eau fraîche, du goût d’une pêche, de son jus sucré coulant dans sa bouche, dans sa gorge. Cette seule idée lui permit de tenir le coup, d’avancer au ralenti sur cette route de campagne où passaient quelques voitures qui le dépassaient en le frôlant.
Il vit enfin la ferme se profiler à l’horizon. Il tenta d'accélérer l’allure, mais il en était incapable. Il fit les derniers mètres au pas. Il arriva encore plus pitoyable que la veille. Il ne prit pas la peine de ranger son VTT, le laissa tomber sur le sol devant la grange. Claire quitta son transat pour venir l’accueillir. Elle eut peur en le voyant livide, avancer péniblement jusqu’à la maison. Elle lui demanda s’il allait bien. Il passa à côté d’elle sans l’entendre. Il se rua vers le frigo, attrapa une bouteille de Perrier et l’avala d’un trait. Il se sentit revivre alors que l’eau et les bulles parcouraient son corps. Il laissa tomber son bermuda et son tee-shirt trempés de sueur sur le sol du couloir et s’effondra dans la douche sous le jet d’eau tiède.
Claire se pencha sur lui. Elle lui caressa la tête. Il leva les yeux vers elle. Il pleurait. De douleur, de honte aussi. Elle était si tendre avec lui. Elle ne vit pas ses larmes.
— Tu es fou de faire ça, lui dit-elle alors qu’il s’essuyait. Tu n’as pas la condition physique pour ce genre d’effort.
Il la regarda avec tendresse. Elle avait raison. Elle avait toujours raison. Il l’embrassa. Il grimaça en la serrant dans ses bras.
Marc fut absent pendant le dîner. Il ne réagissait pas aux blagues de Liz. Répondait par monosyllabes, piqua du nez dans sa salade de fruits. Claire fut à deux doigts d’être obligée de le porter jusqu’au lit. Il s’y traîna, et sombra dans le sommeil à peine allongé.
Il se réveilla tard le lendemain. Il était 11 h. Claire et Liz préparaient le déjeuner quand il émergea dans la cuisine. Il se servit un verre de jus d’orange frais, qu’il but d’un trait. Etrangement il se sentait en pleine forme. Il avait encore quelques courbatures, mais dans l’ensemble il se sentait bien. Il ne savait pas encore s’il aurait le courage de reprendre la route, cependant, à la différence de la veille où cette idée ne lui effleurait pas l’esprit, il envisageât de le faire.
Il déjeuna avec les deux femmes qui le regardaient d’un drôle d’air. Il leur raconta en détail ses mésaventures, ce qu’il n’avait eu le courage de faire avant. Liz riait. Claire moins. Quand elle le vit aller dans la grange elle s’inquiéta.
Marc resta un moment à regarder sa monture. Etait-il raisonnable de s’infliger une nouvelle séance de torture ? La déconfiture de la veille ne lui avait-elle pas suffi ? Claire posa la main sur son épaule.
— Tu ne vas pas repartir, pas après ce qui s’est passé hier ?
Il l’embrassa. Plongeat dans ses yeux. Il y voyait toute l’angoisse qui étreignait Claire à l’idée qu’il remonte en selle. Il s’en voulut de lui causer de tout cela, mais ce n’était pas le plus grave. Il avait couché avec Julie, alors qu’il crache ses poumons , qu’il vomisse tripes et boyaux, qu’il sue sang et eau sur des petites routes de campagne, ce n’était rien.
— Ne t’inquiète pas, je me sens bien, je ne vais pas forcer, dit-il en attrapant son vélo par le guidon et le sortant de la grange.
Il attrapa son sac à dos, y glissa deux bouteilles d’eau, enfonça les écouteurs de son iPod dans ses oreilles, mit Elvis Presley et quitta la ferme.
Le soleil tapait sur ses épaules aussi fort que la veille, mais au lieu de le faire souffrir il en tirait de l’énergie pour avancer. Il roula sans effort, le ruban d’asphalte glissait sous les roues de son VTT, il avalait les kilomètres. Il s'arrêta à un carrefour sous un platane. Il était parti depuis une heure. Il ne se sentait pas fatigué. Ses jambes moulinaient sans douleur. Il avala une longue gorgée d’eau, regarda le compteur digital accroché à son guidon. Il avait fait 13 kilomètres. Il en tira une certaine fierté. Il fit demi-tour et rentra à la ferme. Il ne sentit la fatigue qu’ont quelques encablures de la maison. Une douleur différente de celle qui avait ressenti la veille. Une douleur agréable.
Après s’être douché et avoir avalé un Perrier et une pêche, il alla en ville acheter une carte détaillée des routes du secteur. En rentrant, il établit des itinéraires pour les prochains jours. Il se concocta des circuits d’une vingtaine de kilomètres autour de la ferme. Au fil des jours il dut les élargir. Dans les derniers jours des vacances, après trois semaines sur les routes, il était arrivé à des itinéraires de 80 kilomètres. Il partait le matin vers 10 heures, prenait un pique-nique, et ne rentrait qu’en milieu d’après-midi. Pendant ses escapades le monde n’existait plus, son univers se limitait au ruban  d’asphalte qui se déroulait sous ses yeux, seul comptait le prochain coup de pédale, le reste se perdait dans les brumes de la douce douleur qui tombait sur lui au fur et à mesure que les kilomètres s’accumulaient encore et encore, jusqu’à ce il rentre au port. Claire l’attendait allongée sur son transat, un livre en main. Il allait la rejoindre après être longtemps resté sous le jet de la douche, une bouteille de Perrier à la main. Il s’installait à ses côtés, échangeait quelques mots, et sombrait dans une sieste réparatrice. Il se sentait bien, détendu, toute la culpabilité était partie, extraite de son corps par tous les pores de sa peau, entraînée par la sueur.

Claire raccrocha. Elle n'avait pas convaincu la mère de Marc que son fils était devenu un vrai cyclotouriste, avalant presque cent kilomètres par jour. Elle reconnut que si elle n’avait pas été témoin de cette transformation, elle aurait eu du mal à y croire elle aussi.
Elle regarda sa montre. Marc ne serait pas là avant une heure encore. Elle reprit sa place sur le transat, se replongeat dans sa lecture. Depuis que Liz était partie, c’était sa seule activité de la journée en l’absence de Marc. Elle ne prenait pas la peine de se préparer un déjeuner, avalait un ou deux tomates, un fruit. Elle lisait à l’ombre du platane géant. Marc avalait les kilomètres, elle engloutissait les pages. Elle lisait un livre de 400 pages par jour. Et elle s’ennuyait. Elle n’était pas venue ici pour se perdre dans les livres. Elle était là pour passer du temps avec Marc. Le sentir à ses côtés, parler, rire, manger, boire, faire l’amour, marcher main dans la main, aller au marché, le regarder préparer un repas, l’écouter lui expliquer ce qu’il faisait penché au-dessus des casseroles. Difficile de faire tout cela quand il n’était pas là. Et quand enfin il était présent, il était trop fatigué pour faire quoi que ce soit. Il faisait la sieste, s’endormait à table, et ne l’avait pas touché de tout le séjour. Elle pensait à l’été précédent. A leurs soifs insatiables l’un de l’autre. Ils avaient fait l’amour dans toutes les pièces de la maison, et même dans la grange un soir d’orage. Ils étaient rentrés avant qu’il n’explose, revenant du village où ils avaient dîné au restaurant. Ils avaient garé la voiture dans la grange, la pluie avait commencé à tomber avant qu’ils ne traversent la cour pour rentrer dans la maison. Il tombait des cordes. Ils entendaient le tonnerre, étaient éblouis par les éclairs qui illuminaient l’intérieur de la grande en se faufilant entre les planches disjointes. Elle avait eu peur d’un coup de tonnerre plus fort que les autres et s’était réfugiée dans ses bras. Il l’avait serré contre lui. Elle sentait le coeur de Marc battre sous sa chemise. L’odeur de terre mouillée s’était mêlée à son parfum. Elle l’avait embrassé, il l’avait pris par la main et étaient montée à l’étage en gravissant l'échelle branlante. Au milieu du tumulte des éléments et des vieux meubles, ils avaient fait l’amour. Il n'avait pas prêté attention à la fin de l’orage, ni aux gouttes de pluie qui tombaient du plafond et se mêlaient à leur sueur.
Elle fut parcourue d’un frisson en se remémorant cet événement. Hors de question que cela se reproduise cette année. Elle entendit les pneus du VTT crisser sur les graviers de l’allée. Marc souriait, et grimaçait en même temps. Des gouttes de sueur lui coulaient le long des tempes, sur le front, partout. Il était beau, bronzé, luisant. Claire aurait voulu le prendre contre elle, en elle, là, dans l’instant, sur le transat, sur le sol, sur l’herbe jaunie par le soleil. Marc passa à côté d’elle sans voir l'excitation qui illuminait son regard. Il accrocha son vélo dans la grange. Embrassa Claire. Elle fit glisser sa langue sur ses lèvres, goûtant le sel de la transpiration de Marc qui était déjà parti se doucher. Elle avait déjà tenté de le rejoindre, de lui offrir le repos du guerrier, mais il l’avait gentiment éconduite, disant qu’il n’était pas en état. Trop crevé pour ça.
— C’est à cause du bébé ?
Marc regarda Claire au-dessus de son verre de vin. Il était interloqué par cette question. Ne sut que répondre.
— C’est à cause du bébé que vous partez  vous abrutir sur votre vélo, que vous ne passez plus de temps avec moi, que vous ne me touchez plus que du bout des lèvres, et encore ?
Claire voulait savoir ce qui se passait dans la tête de Marc. Le coup de téléphone de Monique l’avait plus perturbé qu’elle ne le pensait. Comme avait dit sa mère, ce n’était pas normal que Marc se mette comme ça, d’un coup, à faire du sport.
— Non, c’est que...
La phrase de Marc resta en suspens. Il n’avait pas prévu ce genre de situation. Pas prévu de réponse. Claire lui aurait demandé s’il y avait une autre femme dans sa vie, là il aurait su quoi lui répondre. Il avait répété des dizaines de fois sa réponse. Claire attendit qu’il reprenne la parole. Elle ne voulait pas le brusquer, mais elle ne le laisserait pas s’en sortir.
— En fait, oui, je crois. Je crois que je ne suis pas encore tout à fait prêt à ça. Je ne sais pas si je pourrais être un bon père, si je suis fait pour ça. Et puis je l’imagine, là dans votre ventre, grandissant. Ne m’en veux, mais j’y pense comme un parasite. Comme un alien qui sentirait tout. Je ne peux pas  m'empêcher de le voir quand je vous regarde. Je suis à la fois transporté de joie de voir ça, de savoir que je vais avoir un enfant avec la femme que j’aime, mais aussi pétri d’angoisse à cette idée.
Claire sentit des larmes lui monter aux coins des yeux. La réponse de Marc la rassurait. C’était un idiot. Mais il n’avait pas cessé de l’aimer. Elle se leva, alla l’embrasser. Lui tint la tête entre ses mains, le regarda droit dans les yeux.
— Tout va bien se passer, vous allez voir. Il n’y a aucune raison de s’angoisser.
Elle l’embrassa de nouveau. Plus longuement, plus passionnément.
— Votre mère a appelé aujourd’hui, je crois qu’il va falloir le lui dire, et à la mienne aussi.

dimanche 21 février 2010

Chapitre XX

— Je suis dans la merde.
Marc arpentait la pièce de long en large. Il n’arrivait pas à rester en place. Il s’asseyait pour se relever dans la seconde. Il était dans cet état depuis qu’il avait trouvé le test de grossesse positif sur la table du salon.
Et qu’il avait passé la nuit entre les bras de Julie.

Il n’avait pas trouvé le courage d’aller se glisser dans le lit avec Claire. Il resta sur le canapé, le test de grossesse sous les yeux. Tétanisé. Il y avait tant de choses dans ce petit bout de plastique. Il allait être papa. Claire était enceinte de lui. Lui qui venait de la tromper. De lui faire un enfant dans le dos. Il était content de cette phrase. Il s’en voulut. Il engueula le lycéen libidineux qui n’avait pas pu, pas su résister à la plus belle fille de la classe, alors que la fille qu’il aimait l’attendait, et attendait son enfant. Le lycéen ne répondit pas, il s’était rendormi, satisfait d’avoir réalisé un fantasme vieux d’une bonne dizaine d’années. Il se foutait des remords, des regrets, et autres considérations morales. Les lycéens, ça ne pense pas à ça. Les lycéens, ça s’endort juste après avoir fait l’amour, juste après avoir baisé.
Marc alla se doucher. Il laissa l’eau froide lui glacer le corps. Il frissonna sous le jet. Sortant de la cabine, il s'enveloppa d’une serviette, et se cala contre le lavabo, dos au miroir. Il ne voulait pas se voir. Il ne voulait pas voir son visage de traître. Quel père ferait-il ? Il se rhabilla, et alla dans la cuisine se préparer un thé. Claire le surprit alors qu’il versait l’eau frémissante dans la théière. Elle gardait les restes de la nuit sur elle, cheveux en désordre, visage chiffonné, mais traversée d’une large, d’un éclatant sourire. Marc soutint son regard rayonnant. Il aurait voulu s’enfouir dans le sol, disparaître sous la terre. Les yeux de Claire le transperçaient. Pas de colère, mais de leur bonheur. Ils n’allaient pas tarder à voir au plus profond de lui, à identifier cette tache noire qu’il portait en lui.
— Alors, demanda Claire en lui prenant les mains ?
Alors, je suis un misérable. J’ai couché avec Julie. J’ai été faible. Je m’en veux terriblement. Voilà ce qu’il aurait dû lui répondre.
— C’est vrai ? Ce que j’ai lu, c’est vrai, dit-il d’une voix qu’il ne reconnut pas ?
— C’est vrai. Je ne voulais pas attendre, je voulais que tu le saches dès ton retour.
Claire avait des feux d’artifice dans les yeux, des rossignols dans la voix. Elle flottait à deux mètres au-dessus du sol, sur le petit nuage proverbial. Marc se sentait lourd, un poids énorme lui pesait sur les épaules, il devait lutter de toutes ses forces pour ne pas y céder, ne pas s’effondrer.
Claire se prépara un café, l’avala en vitesse, passa par la salle de bains ,s’habilla et quitta Marc dans un baiser. Il eut peur qu’elle sente le goût des lèvres de Julie. Il n’en fut rien. Ce matin elle ne pouvait sentir que son bonheur.
Après avoir entendu la porte se refermer, Marc regarda l'heure. Il était encore tôt, trop tôt pour téléphoner à Lucie. Il décrocha tout de même le téléphone, il ne pouvait pas attendre. Il fallait qu’il parle à quelqu’un.
Il la tira du sommeil. Elle avait la voix pâteuse. Il lui expliqua qu’il fallait qu’il la voie, vite, dans l’instant, c’était important, capital, vital. Lucie ne comprit pas très bien ce qu’il se passait, encore dans les brumes du sommeil. Elle l’invita à venir chez elle. Il y était dix minutes plus tard, usant le tapis du salon par ses aller-retour nerveux.

— Tu veux bien t’asseoir et rester tranquille, tu me fous le tournis.
— Pardon, mais je suis trop nerveux.
— Et moi j’ai la gueule de bois, tu sais à quelle heure je me suis couché. Et ce que j’ai bu ? Si tu étais venu, tu l’aurais su.
— Je t’avais dit que je ne viendrais pas cette année.
— Ouais, et j’ai cru que tu nous jouais encore ta Diva. Ton numéro tu type que se fait désirer, supplier. Je le connais par coeur. Je pensais que tu débarquerais la bouche en coeur. J’ai été déçu. Surtout maintenant que tu me dis que c’était pour aller sauter ta Julie.
— Je suis désolé. Pour tout.
— Tu peux, salaud. Qu’est-ce que vous avez les mecs ! Vous pouvez pas garder votre bitte dans votre pantalon. C’est dingue.
Marc aimait bien Lucie parce qu’elle ne tournait pas autour du pot, elle disait les choses telles qu’elles étaient. Il avait sauté Julie. Il avait cédé le contrôle de son corps à sa bitte. Et au lycéen.
— Qu’est-ce que je vais faire ?
— Tu vas rentrer la queue entre les jambes et tout raconter à Claire.
— C’est ce que je voulais faire, mais...
— Mais tu es comme tous les autres un trouillard, une merde molle, un pauvre type qui pense qu’il peut tirer son coup à droite et à gauche et rentrer tranquillement chez lui et embrasser sa femme...
— Mais j’ai trouvé le test de grossesse de Claire, et il était positif.
Marc s’attendait à une nouvelle bordée d’injures de la part de Lucie, ou au moins une phrase bien sentie, et imagée. Pour toute réponse il n’eut qu’un silence. Réaction à laquelle ne l’avait pas habitué Lucie.
— Et ben merde, tu t’y connais pour te foutre dans de drôles de situations, fini-t-elle par dire. Je crois que c’est le moment de faire du café.
Marc ne put qu'acquiescer à cette proposition, même s’il n’en avait pas envie, il en avait besoin. Besoin d’un remontant. Il était encore trop tôt pour attaquer les alcools forts, un peu de caféine ferait l'affaire. D’autant que Lucie faisait un café fort, noir puissant, un breuvage qui vous remettait la tête dans le bon ordre.
Lucie sorti la poche de café du frigo, moulu une bonne poignée de grain, versa le tout dans la cafetière, l’eau se mit à frémir, elle la versa sur la poudre, laissa la décoction infuser, et appuya sur le piston de ses deux mains, poussant un petit cri pendant l’effort. Elle remplit deux tasses, en fit glisser une à Marc par-dessus la table, et avala la sienne avant qu’il ait pu poser ses lèvres dessus.
— Tu aimes Claire ?
— Oui.
— Tu aimes Julie ?
— Non.
— Bon alors le choix est vite fait. Claire est enceinte de tes oeuvres. Tu retournes vers elle en rampant. Tu lui dis, tu ne lui dis pas ce que tu as fait cette nuit, c’est ton problème, mais tu ne laisses pas passer cette fille.
— C’est pas si simple.
— C’est simple si tu le veux. Si tu commences à te faire des noeuds au cerveau, c’est ton problème. Tu voulais mon avis, tu l’as. Maintenant mon petit vieux tu te démerde avec ça. Et moi je retourne me coucher.
Marc avala son café. Il se demanda comme Lucie allait pouvoir dormir après avoir bu le même breuvage que celui qui descendait dans sa gorge, et qui réveillait à grands coups de pied toutes les cellules de son corps.